29 mars 2020
Carnet / Après
« Après » est la préposition qui nous trotte dans la tête. À quoi ressemblera « l’après » , autrement dit ce qui suivra l’apogée de la crise sanitaire et des mesures de confinement inédites prises en conséquence ? On entend déjà dire qu’il faudra désormais vivre avec le virus qui sera peut-être saisonnier. Beaucoup affirment que rien ne sera plus comme avant. Quelles hypothèses ?
1 Tout repart à peu près comme avant et on se dope à l’oubli jusqu’à la prochaine catastrophe ?
2 On maintient un système de société qui est loin d’être le pire tout en s’efforçant d’en combattre et, rêvons un peu, d’en éliminer les dérives et les excès les moins tolérables ?
3 On fait le grand ménage, on change tout et puis on verra bien ?
La solution médiane (n°2) serait à mes yeux la moins pire mais en sera-t-elle pour autant probable ? Bien malin (surtout pas moi qui ne détiens aucune expertise) qui pourrait le dire aujourd’hui. Probablement, nécessité fera loi mais quelle loi ?
L’histoire nous a montré qu’après chaque traumatisme affectant la société entière, s’installent dans l’esprit du commun des mortels des périodes de doute et de morosité plus ou moins longues au cours desquelles les populations choquées, apeurées, inquiètes et méfiantes rasent les murs. Cela survient même si ces périodes sont suivies de rebonds artificiels mais capables de redonner l’illusion de la puissance, de l'insouciance et de la permanence.
Nés après la seconde guerre mondiale, nous faisons partie des premières générations relativement insouciantes à connaître l’expérience d’un danger planétaire à notre porte dont la conséquence la plus immédiate sera, à l’échelle de la société, un état d’anxiété diffuse qui affaiblira nos défenses (je parle ici de la sphère collective).
Cela signifie que dans nos vies privées individuelles, nous serons plus vulnérables que de coutume aux différentes pressions (oppressions) que des dirigeants capables de miser sur une rupture des équilibres sociaux fondés sur les habituels et indispensables rapports de force seraient tentés d’exercer au nom d’une unité nationale bien commode à invoquer dans ce contexte. On le voit déjà dans les mesures annoncées comme provisoires, espérons-le, dans le domaine des droits aux congés et de la durée hebdomadaire du travail. Tous les acquis sociaux âprement disputés et gagnés sont d’une fragilité qui n’en épargne aucun d’entre eux dans aucun domaine de la vie quotidienne.
C’est pourquoi j’ai du mal à critiquer les dirigeants syndicaux qui parlent de grève en pleine crise. Cela laisse certes à désirer sur le plan de la communication mais après tout, un syndicat qui veut et doit être puissant n’est pas là pour faire de la com, il est là pour montrer les dents et pour rappeler qu’il n’est pas question d’abandonner le concept qui maintient la pierre angulaire de toute relation entre individus et entre groupes : le rapport de force le plus équilibré possible quelque soit le contexte. La rupture de cet équilibre certes peu utopique mais rationnel, c’est l’ouverture garantie de la boîte de Pandore. Trop de syndicats réformistes l’ont entrouverte depuis des décennies et on a vu le résultat dans des périodes plutôt calmes si l’on compare avec ces derniers temps.
Aujourd’hui, si j’étais contraint de quitter mon aimable état de fantôme social, ce qu’à Dieu ne plaise, je prendrais ma carte auprès du syndicat le plus dur en prévision des risques qui vont peser sur les acquis sociaux car il y a fort à parier qu’en face, ils oseront tout. Je souhaite ardemment me tromper.
La méfiance voire la défiance sont de règle face aux postures guerrières dont ce pouvoir si faiblement élu, c’est-à-dire si mal élu, nous abreuve. Je suis incapable de faire confiance à un gouvernement pour lequel les mots n’ont pas de sens.
Un président qui se donne des allures martiales en martelant que nous sommes en guerre est un chef qui ne connaît pas le poids des mots ou qui a une idée derrière la tête. C’est inquiétant dans les deux cas alors qu’il devrait s’en tenir aux faits bien assez graves : nous ne sommes pas en guerre, nous sommes confrontés à un événement naturel dangereux et d'ampleur planétaire, ce qui est déjà bien suffisant. Employer improprement le mot guerre ajoute du stress à l’anxiété, une surenchère dont personne n’a besoin en ce moment.
00:14 Publié dans carnet, NOUVELLES DU FRONT | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : après, crise sanitaire, virus, pandémie, politique, syndicats, gouvernement, carnet, note, journal, interrogations, inquiétude, anxiété, stress, maladie, acquis sociaux, société, droit du travail, droits aux congés, durée hebdomadaire du travail, poids des mots, blog littéraire de christian cottet-emard
28 mars 2020
Interlude musical
Aaron Copland (1900-1990) : extrait de Music for the Theatre. Prologue and burlesque. Le compositeur à la direction.
Et un texte extrait de mon livre Poèmes du bois de chauffage, éditions Germes de barbarie (page 127) sur l'amitié entre Aaron Copland et Leonard Bernstein :
Aaron et Lenny
Ils ont l’air de bonne humeur sur cette photo les deux géants de la musique américaine du vingtième siècle
Quand le photographe Walther H. Scott appuie sur le déclencheur on ne sait si Lenny parle direction d’orchestre à Aaron ou s’il ôte délicatement un cheveu du revers de la veste d’Aaron
Cela tient souvent à un cheveu la composition la direction d’orchestre l’amitié
On fait le même geste quand on tient un cheveu ou une baguette ou quand on essaie de parler de ce qui échappe aux mots notamment la musique et l’amitié
Cette photo parle elle parle bien d’Aaron et Lenny de leur amitié et de leur génie
Le photographe Walther H. Scott a tout compris de ce chef-d’oeuvre d’amitié
Tu as souvent cette image sous les yeux depuis 1991 ou 1992 lorsque tu achetas ce disque avec Aaron et Lenny en photo de couverture
Et depuis tu veux écrire quelque chose sur cette amitié et sur cette musique qui rayonnent d’Aaron et de Lenny même si tu sais que c’est impossible car aucun mot ne peut exprimer directement l’amitié et la musique
Telle est la réussite de Walther H. Scott un portrait des cinquante-trois ans d’amitié d’Aaron (1900-1990) et Lenny (1918-1990)
Photo : de gauche à droite, Aaron Copland et Leonard Bernstein (Photo Walther H. Scott)
00:23 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : interlude musical, aaron copland, music for the theatre, musique américaine, compositeur américain, blog littéraire de christian cottet-emard, copland dirige copland, leonard bernstein, musique, photo, composition, direction, orchestre, amitié, compositeurs, musique américaine du vingtième siècle, walther h. scott, photographe
27 mars 2020
Carnet / Portrait du personnage
Une ressemblance avec l'enseigne de vaisseau Mhorn ?
Dans l’écriture de fiction, qu’il s’agisse du roman ou de la nouvelle, la description physique d’un personnage est loin d’être une évidence. Lui tirer le portrait est-il nécessaire à la narration ? À quel moment ? Dans quel but ? Il est plus facile de s’en passer dans une nouvelle très épurée que dans un roman. On peut contourner la difficulté en résumant le personnage à un détail sur lequel insister renseignera éventuellement sur sa psychologie, son histoire, un épisode de sa vie ou ses rapports avec les autres.
Quelle apparence donner à l’enseigne de vaisseau Mhorn qui apparaît dans plusieurs de mes livres publiés (Le Grand variable, Trois figures du malin) et inédits ? Il est certes un homme dans sa maturité mais dans quelle tranche d’âge ? Entre la cinquantaine (adolescence de la vieillesse) et la soixantaine (entrée dans le troisième âge) ? Fait-il plus jeune ou plus vieux que son âge ? Quelle particularité de son visage, de sa silhouette et de son maintien peut-elle donner une idée de son expérience, des épreuves qu’il a subies ou au contraire de la monotonie de son existence ?
La description minutieuse a son intérêt si elle est précisément justifiée mais elle peut aussi enfermer le lecteur, l’empêcher de se faire sa propre idée du personnage. C’est souvent le cas pour des lecteurs très créatifs qui peuvent avoir plus d’imagination que le narrateur. Même s’ils n’écrivent pas, certains lecteurs ont une vraie nature de romancier, parfois plus riche que l’auteur du roman qu’ils ont entre les mains. Parmi les lecteurs de poésie qui ne produisent aucun texte (cela peut arriver !), un grand nombre d’entre eux sont ce qu’on appelle des natures poétiques dotées d’une capacité de lecture créative complexe qui peut les inclure sans problème dans le même processus mental que le poète. C’est pourquoi un personnage de fiction qui s’aventure dans un poème pâtira moins d’une description épurée qu’un personnage de roman ou de nouvelle.
En littérature, un des principaux défauts de jeunesse ou de pratique consiste à ne pas faire confiance au lecteur tout à fait capable d’avancer tout seul comme une grande fille ou un grand garçon sur les chemins sinueux du récit. Plus on écrit et plus on est lu (même par un lectorat restreint), plus on se rend compte que le lecteur peut devenir un excellent collaborateur si on accepte l’idée de ne pas toujours le contrôler en lui expliquant tout ce qu’il peut déduire ou carrément imaginer par lui-même.
Cette idée de déléguer une partie du travail me plaît beaucoup, non seulement parce que je n’aime pas trop me forcer mais encore parce qu’elle permet de prendre de la hauteur sur son propre texte, notamment lorsqu’on est bloqué par un détail ou coincé dans une impasse. C’est en abandonnant brièvement la peau de l’auteur et en se glissant un instant dans celle du lecteur qu’on finit par trouver la solution. Souvent, cette solution peut consister en l’absence même de solution ! Il faut parfois des jours et une corbeille remplie de brouillons pour accepter d’en arriver à cette conclusion.
02:13 Publié dans Atelier, carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : atelier, carnet, personnage, note, journal, brouillon, blog littéraire de christian cottet-emard, écriture, portrait, description, étude, littérature, écriture de fiction, nouvelle, roman, romancier, nouvelliste, poète, poésie, narration, narrateur, lecteur, récit, écriture créative, lecture créative, nature poétique, christian cottet-emard, essai, preben mhorn, enseigne de vaisseau mhorn, le grand variable, éditions éditinter, trois figures du malin, éditions orage lagune express